Critiques de film, premier trimestre (année 2013-2014)

Déposez ici, en publiant un commentaire, vos critiques de films. Un film découvert en dvd ou à la télé, ou un film dans les salles en ce moment, partagez votre vision du travail du cinéaste.

Et profitez-en pour découvrir notre exercice pratique du début d'année: le photo-roman.

1 commentaire:

  1. Entre réel et fiction, entre amour et haine, entre folie et raison, entre violence et passion, « La Vie d’Adèle », d’Abdelatif Kechiche, est une fresque à la fois monumentale et minimale. Un point de vue unique, imposé, partagé, centré sur un personnage qui avance dans sa vie, vide de repères et pleine de manque. Ce manque, c’est celui de l’amour, celui du désir, celui du partage. C’est celui que vient combler, mais aussi, par effet d’accoutumance, accentuer cette jeune fille aux cheveux bleus dont elle tombe irrémédiablement amoureuse au détour d’un regard, dans un mouvement de foule, au son hors du réel d’un Space Drum.

    Une histoire d’amour et de désir donc, une histoire de rencontre, mais aussi, cela va de pair, de rupture. La déchirure de l’union de deux êtres que tout oppose, la violence de l’acte sexuel représenté sans tabou, révèlent le fond d’un amour en apparence délicat et fusionnel. C’est le parcours complet et vaste d’une vie qui ne mène finalement qu’à elle-même, un flot d’instants accolés au gré d’ellipses floues, formant à la fois un tout cohérent et un ensemble de points très différents. Des cours de français sur l’enfance et le romantisme aux manifestations étudiantes, des sorties dans les bars gays aux expositions artistiques, des discussions dans la pelouse d’un jardin public aux pleurs que rien ne peut arrêter, ce sont autant de fragments d’existence rassemblés, de lambeaux de souvenirs rapiécés, d’actes d’une rupture recomposée.

    Cette recomposition s’opère sans heurt grâce aux ellipses volontairement effacées, qui si elles peuvent sembler déconcertantes au premier abord, permettent en réalité une sorte de glissement permanent d’une émotion à l’autre du personnage, d’une étape à l’autre, sans rupture, marquant ainsi une forme de continuité, qui permet de revivre ces tranches de vie à la fois très distinctes et très semblables, puisqu'elles forment un tout "cohérent", dans la mesure de l'instabilité du personnage. Le film entier est composé du mouvement qu’est la vie de ce personnage, et s’il accentue des moments que l’on pourrait qualifier d’instants particuliers, le fait que les coupes de l’un à l’autre soient aussi rondes et floues efface toute notion d’évolution, en redonnant au mouvement un caractère de permanence, d’inscription dans une durée ouverte, plutôt que d’en faire le passage artificiel d’un état stable à un autre. Il n’y a ici que le déséquilibre, qui devient ponctuellement une forme d’équilibre dans le chaos général des émotions.

    La seule permanence, c’est celle du point de vue, qui s’il est formellement unique, et pour ainsi dire univoque, ne laisse pas pour autant le spectateur passif. Au contraire, il appartient à chacun de vivre le film selon ses propres expériences, et ce n’est pas ici la lecture du personnage mais le degré d’identification à celui-ci qui fait la diversité des expériences cinématographiques.

    Cette diversité des réceptions peut aussi être plus formelle, et l’on a beaucoup parlé des scènes d’acte sexuel dans le film. Leur esthétique, très travaillée, n’est ni surfaite ni érotisante, et elles relèvent d’une vision certes très crue, mais de ce fait très franche d'un déchirement auquel s'adonnent les deux personnages. Ce n'est pas seulement de l'amour, c'est une forme de haine, de douleur partagée qui se mêle au plaisir, qui vient marquer la rupture intrinsèque à l'attachement et à la dépendance affective. Elles font partie du tout du film, et leur longueur est toute relative à celle de l’œuvre globale et de ses différentes séquences. De ce fait il ne semble pas déplacer de parler d’imbrication logique de ces séquences dans le film, qui ne présentent qu’un aspect parmi tant d’autres de la vie des personnages. Le négliger eut été un manque, se focaliser dessus semble être se contenter d’une vision limitée d’un film très vaste, qui mérite sans aucun doute qu’on lui consacre, et même plus d’une fois, les trois heures qu’il réclame, avant de pouvoir se prononcer sur ses qualités et défauts.

    Paul.

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