Le témoignage de Paul, membre du jury jeunes au festival de Gerardmer




(Crédit photos pour tout l'article: Région Lorraine)

Décembre 2012, un mercredi après-midi, les professeurs de l'option cinéma remettent aux élèves intéressés un dossier permettant de se porter candidat afin d'intégrer le Jury Jeunes de la 20ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer.

L'année dernière, je n'avais pas osé envoyer le dossier après l'avoir rempli, car après consultation des archives du festival, celui-ci m'avait semblé être trop orienté vers l'horreur, et je ne me sentais pas prêt à me confronter à cet univers, qui ne constitue pour moi qu'une partie du genre fantastique. Mais depuis, une année s'est écoulée, au cours de laquelle j'ai pu faire des découvertes cinématographiques, mûrir un peu, et puis bénéficier des retours de deux camarades qui ont vécu l'expérience l'an passé.

Alors je remplis le dossier, tâchant d'exposer une certaine diversité dans les films que je cite afin de montrer que le cinéma qui me plaît ne se limite pas à un critère unique, et répétant l'importance capitale qu'a pour moi la notion de point de vue dans la lettre de motivation. Car être membre d'un jury, c'est savoir affirmer son point de vue tout en respectant celui des autres, et en sachant se remettre en question lors de la confrontation à celui-ci.

La décision d'un jury se doit, je pense, d'être le reflet de la confrontation de points de vue, qui parviennent à s'accorder sur une même œuvre, mais pas pour les mêmes raisons. C'est une synthèse qui se doit d'être « plurichromatique », afin de faire émerger une œuvre par la comparaison sur plusieurs plans aux autres, et non l'affirmation en bloc d'une vision monochromatique et injonctive d'un film.

Janvier 2013, un jeudi matin, un camarade de l'option me remet un document que lui a transmis M. André, l'un de nos professeurs de cinéma. Tout à coup c'est comme si le monde basculait tant je suis submergé par l'euphorie ; j'ai été retenu comme membre du jury, tout comme onze autres jeunes de la région. Joie immense, et pourtant ce n'est que le lancement d'une aventure qui deviendra concrète quelques semaines plus tard. Quelques jours plus tard, je reçois par mail une invitation pour une réunion à Metz afin de rencontrer l'ensemble du Jury Jeune, mais aussi un réalisateur dont nous visionnerons le film, afin de se former à la critique. Un billet de train est joint.

23 Janvier, après une brève rencontre avec quelques autres membres du jury à la gare, nous nous retrouvons déjà dans une salle de cinéma. Nous regardons « The Prodigies », film d'animation tridimensionnelle réalisé par Antoine Charreyron, qui arrive à la fin de la séance. Bien que la discussion ait normalement lieu après le repas, sur le trajet vers l'hôtel de région les questions commencent déjà. Souriant, le réalisateur répond aux demandes de chacun quant aux intentions du film et aux techniques utilisées. A table, il est le premier à détendre l'ambiance en jouant avec les micros de la salle de réunion. Si les discussions de l'après-midi sont plus sérieuses, l'ambiance reste agréable, et il nous explique son parcours de manière très humoristique, le parsemant d'anecdotes sur les rencontres qu'il a pu faire et sur son anglais, qui fut à une époque déplorable.

Afin d'élire notre président, qui comme l'année dernière sera en fait une présidente, nous faisons un rapide tour de table pour que chacun se présente. Pas d'étendue sur les centres d'intérêt extérieurs au cinéma ici, mais quelques questions clefs afin de cerner chacun des membres du jury en tant que cinéphile ; il nous est ainsi demandé quels sont nos films préférés, pourquoi ils nous plaisent ou encore ce que l'on attend d'un film, mais aussi si l'on envisage de faire carrière dans le cinéma. Pendant les pauses, les quelques non-fumeurs restant dans la salle continuent sur la lancée, commençant déjà à confronter définitions du fantastique et points de vue sur différents films, sous le regard amusé d'Antoine Charreyron. J'imagine que derrière les volutes de fumée, il devait en être de même au sein du groupe à l'extérieur. Nous rencontrons également Caroline, Yannick et Élodie, employés de la Région qui nous accompagneront pendant tout le festival et organiseront nos déplacements.

L'après-midi passe à une vitesse incroyable, et jusque dans le train avec trois autres jeunes, nous discutons de nos projets au sein de nos options cinéma respectives. Tous les membres du jury sont en classe de terminale cette année, mais si les élèves en section littéraire sont majoritaires, nous sommes quelques S, ainsi qu'une élève en ES. Lorsque nous nous quittons en gare de Nancy, nous avons déjà tous hâte de nous retrouver la semaine prochaine, quand nous deviendrons réellement un Jury, pour le temps du festival.

Dans la semaine, nous recevons par mail la brochure intégrale du festival, qui contient l'ensemble de la sélection, compétition et hors-compétition, ainsi que les noms des membres du Jury. Je n'en connais que très peu, mais repère tout de même Marc Caro, et puis ce qui compte ce sont les films. Je flashe immédiatement sur Cloud Atlas, le nouveau film des frères Wachowski, mais aussi sur Doomsday Books, co-réalisé par Kim-Jee Won et film de clôture du festival. La liste est longue et je ne fais que la parcourir, attendant d'être dans le festival pour m'organiser afin d'en voir un maximum.

Mercredi 30 Janvier, j'interromps un tournage à l'option car on m'annonce que la voiture qui vient me chercher est là. Sous la pluie, François me « passe le flambeau », puisqu'il a été membre du jury l'année dernière, et me donne quelques ultimes conseils. Après un au revoir aux professeurs et à mes camarades, je pars donc loin du lycée, dans un univers de cinéma et de culture fantastique où, entouré d'autres cinéphiles, je m'apprête à vivre cinq jours inoubliables. Une autre membre du jury, qui vient de Toul, est déjà dans la voiture, mais nous parlons peu pendant le trajet. Je suppose que nous sommes tous deux quelque peu tendu par rapport au rôle que nous sommes sur le point de devoir jouer, avec son lot de responsabilités, mais aussi et surtout face à l'inconnu de ce festival, et de sa sélection. Notre chauffeur, habitué de l'organisation, qui repose beaucoup sur le bénévolat, fait quelques commentaires sur le festival, mais aussi sur la météo car si la pluie l'a chassée, on attend le retour de la neige.

Et puis nous arrivons à l'hôtel, où la quasi totalité du jury est déjà là. Très vite nous nous répartissons en chambres de trois ou quatre, et l'atmosphère se détend. On recommence à parler de films, mais aussi de musique et de jeux vidéos, en toute convivialité, à la fois entre nous et avec les organisateurs de la région. Et puis les premiers journalistes débarquent, afin de réaliser un documentaire tout au long de la semaine. On nous distribue nos polaires « Jury Jeune », ainsi qu'un sac contenant entre autres la brochure du festival, la liste des séances des quatre salles de cinéma, et une affiche en tirage limité. Alors qu'approche l'heure de la cérémonie d'ouverture, chacun revêt sa tenue de soirée, et on fait une photo dans l'escalier avant d'y aller. Finalement, c'est plutôt détendus que nous entrons dans le grand bain.

Lorsque nous arrivons à l'espace lac, séparés en deux minibus conduits par des habitués du festival dont la sympathie nous accompagnera toute la semaine, nous entrons par la porte de derrière, comme le « vrai » jury. On nous a réservé une rangée, sur l'avant, bien placée tant que l'on a pas de personne trop grande devant soi pour masquer les sous-titres. Un présentateur arrive sur scène, et puis défilent les « pontes » du festival, qui viennent nous faire partager leur enthousiasme et leur dévotion à un événement parfois difficile à mettre en place, en particulier sur le plan financier. Un des thèmes de l'année, qui sera sujet d'un débat un peu plus tard dans la semaine, est la sexuation de la peur ; en conséquence, on nous souhaite un « festival pour tous », exemple probant de la bonne ambiance de l'événement, qui perdure malgré le sérieux de la cérémonie. Vient ensuite l'hommage à Simon Pegg, acteur anglais qui vient récupérer son trophée.





Et finalement, le réalisateur japonais Hideo Nakata, qui a présidé le Jury du festival en 2006 après en avoir remporté le grand prix en 2004 avec le film Dark Water, monte sur scène et nous introduit à son film The Complex, qui fait l'ouverture du festival. La lumière s'éteint, le générique du festival est projeté. Un cri retentit alors dans la salle, sorte d'exclamation de peur et de joie mêlées, le tout mené de façon sardonique. La salle applaudit ; le spectateur poussera ce cri à chaque projection de l'espace lac, comme il le fait depuis plus de dix ans, comme nous l'apprendra par la suite Denis, l'un des chauffeurs. Et enfin, le film démarre.


Nous en ressortons tous marqués, avec des points de vue partagés et différents, mais tous aussi enthousiastes et enclins à la discussion. Au restaurant, nous passons la soirée à parler du film, à essayer d'en analyser les symboles, à confronter nos ressentis... Les élus de la Région Lorraine passent nous voir, et nous constatons qu'ils n'ont, globalement, pas apprécié le film, alors nous partageons avec eux nos réflexions, et notre analyse de sa portée. Ce n'est encore que le début du festival, et pourtant nous nous sentons déjà impliqués et ultra-dynamiques.

Le lendemain matin, tout comme les jours suivants, nous nous retrouvons dans une salle qui nous est réservée à la maison de la culture. Nous commençons par y débattre du film de la veille, orchestrant un tour de table sur nos ressentis et attribuant une note, plutôt symbolique, afin d'établir quels films nous conservons pour le palmarès, et quels films nous préférons écarter. Suite à cela, Caroline, notre organisatrice, nous donne un déroulé du programme de la journée, tant sur les projections des films en compétition, auxquels nous sommes bien entendu tenus d'assister, que sur les aspects plus pratiques, comme les lieux et horaires de repas. Malgré le caractère déjà chargé des journées, nous jouons ensuite les prolongations en remplissant les plages horaires libres de séances hors-compétition pour lesquelles des navettes nous sont dépêchées et des places nous sont réservées, si tant est que nous soyons au moins deux à vouloir y aller.

Certains matins, des journalistes viennent nous voir en réunion, et certains font remarquer que notre travail de critique, aussi formel puisse-t-il être, reste le reflet d'une véritable passion et d'un engouement total de chacun pour le cinéma, et que nous le menons avec un sérieux qui ne manque pas d'en impressionner certains. Arnaud, journaliste à La Semaine, nous rejoint jeudi et nous suit sur la suite du festival ; nous parlons tellement qu'il remplit de nombreuses pages de son carnet, y compris pendant les repas.
Cette année, la sélection est très diversifiée, comme nous le découvrons au rythme de deux à trois séances en compétition par jour, auxquelles s'ajoutent une à deux séances hors-compétition. S'y mêlent des genres hétéroclites, ce qui nous permet de constater de la diversité du genre fantastique, qui englobe de nombreuses sous-catégories. On peut objecter cependant à la sélection que certains films ne s'apparentent pas réellement au genre fantastique, et si nous tirons tous, sur le plan personnel, quelque chose de ceux-ci, il peut sembler regrettable qu'ils se trouvent en compétition.

Jeudi matin, nous découvrons « The House of Last Things », du réalisateur américain Michael Bartlett, en présence ainsi que son chef-opérateur Ken Kelsch, assis tous deux juste derrière nous tandis nous assistons à la première mondiale du film. Les thématiques du film ne sont pas sans faire écho à « The Complex », mais les deux œuvres sont très différentes par leur esthétique, mais aussi leur traitement de sujets tels la culpabilité, la folie... Ces thèmes sociétaux, bien qu'universels, sont par leur traitement le reflet des cultures très différentes des réalisateurs, l'un japonais, l'autre américain.


L'après-midi, avec une partie du jury, nous allons voir « The Conspiracy » de Christopher Mac Bride, fiction canadienne aux fausses allures de documentaire conspirationniste. Puis nous nous rejoignons tous à l'espace lac pour enchaîner deux films en compétition ; le premier, « Remington : The Curse of the Zombadings » de Jade Castro, est une comédie d'horreur de série B philippine traitant de l'homosexualité. S'il est louable de permettre une ouverture culturelle dans le cadre du festival, qui plus est en incorporant un genre habituellement peu représenté et issu d'une production à très petit budget, je dois dire que l'humour du film n'a pas toujours su me toucher, et même si le très bon jeu d'acteur du personnage principal lié à un travail d'écriture de certains dialogues certes loufoques mais très aboutis créent l'intérêt du film, le propos en lui-même m'a laissé mi-figue mi-raisin, car bien que l'on sente que le réalisateur souhaite plutôt défendre l'homosexualité, certains symboles, comme cette homosexualité devenant une malédiction ou la figure paternelle se 'sacrifiant' en devenant gay, déroutent quant à la finalité du propos...

Cependant mon caractère mitigé quant à ce film n'est rien en comparaison à l'ennui que m'inflige la seconde projection de la soirée, « The Bay » de Barry Levinson. Si le found footage est assez bien utilisé, la crédibilité du film ne réussit en revanche jamais à se faire valoir dans mon esprit, et c'est après une heure et demie à hausser les sourcils devant le grotesque des screamers déployés que je quitte volontiers la salle en direction de la pizzeria.


A table, les repas sont à nouveau élancés, car les films du jour, et tout particulièrement le dernier, nous ont réellement divisés, et tandis que certains l’excluraient volontiers de la course au palmarès, d'autres seraient presque prêts à lui remettre le prix.

Vendredi, nous commençons le matin avec un film Bolivien, « El Resquicio » de Alfonso Acosta, renommé en anglais « The Crack ». Nouvelle preuve de la diversité de la sélection du festival, puisqu'il s'agit très clairement d'un film d'auteur (c'est également un premier film). Si l'ennui de la majorité du public se manifeste très vite, je demeure cependant attentif, car il y a une lente et subtile montée en tension, et bien que le film ne soit pas assez macabre à mon goût, en comparaison à ce qu'il semblait annoncer, je demeure aux abois du moment où la tension va exploser... Celui-ci semble annoncé lorsqu'un panneau « Dernier Jour » s'affiche à l'écran. Applaudissements dans la salle d'un public à bout de nerfs, probablement pas pour les mêmes raisons. Et là, déception énorme. Les choses ne se passent qu'à moitié, dans un déroulé dont on sent que le réalisateur n'a pas su faire les choix. Tantôt violent et tantôt doux, le film oscille sans résoudre le conflit, et se conclue sans avoir basculé dans la folie annoncée, sans avoir jamais franchi la barrière du fantastique qu'il avait laissé deviner. Dommage, car dans un festival tel que celui-ci, ça ne pardonne pas, et il devient vite la référence du film-qui-n'aurait-pas-du-être-ici. Il se murmure même que Christophe Lambert s'est posté juste à la sortie de la salle afin de s'y soustraire au plus vite tant il se serait ennuyé...

Comme la veille, avec une partie du jury jeune nous profitons du temps libre de début d'après-midi pour aller voir un documentaire intitulé « Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux ». Derrière ce titre un peu racoleur se trouve en fait un très beau travail, mêlant des interviews du maître mais aussi de réalisateurs actuels qu'il a pu influencer, tels Nick Park, James Cameron, Henry Selick ou encore Tim Burton. Les rapprochements sont pertinents, les questions intéressantes, le rythme très bien trouvé, en équilibre entre un déroulé historique de la carrière de Ray Harryhausen et des performances techniques de ses effets spéciaux et une approche thématique de son influence. Un documentaire coloré et vraiment plaisant, qui efface bien vite la déception du matin.

Ensuite, nous rejoignons une partie du Jury officiel au Grand Hôtel, pour une rencontre organisée suite à une requête collective de notre jury. Pendant un peu moins d'une heure, nous parlons du parcours de ces professionnels du cinéma, du métier de réalisateur, de celui de critique... Interdiction formelle de parler des films en compétition, mais cela ne nous empêche pas d'y faire une rapide allusion, alors que nous nous interrogeons sur ce qu'est le fantastique. Alors que nous parlons de l'aboutissement d'un film, mais aussi des raisons qui poussent à le réaliser et de l'aspect parfois thérapeutique de la création artistique, on vient nous signaler qu'il est déjà temps de suspendre l'entrevue pour repartir dans les salles obscures.

Le film en compétition de la fin d'après-midi est « You're Next » de Adam Wingard, film américain jouant sur les codes du Slasher pour aboutir au Survival dans un style très fun. Le public est vite conquis, et l'ambiance dans la salle est énorme, avec des salves d'applaudissements ou ce cri, « prend la porte ! », lancé à l'un de personnages par un spectateur avide de le voir décéder dans la violence et le fun. Si le film m'a plu et m'a semblé très intelligent dans sa façon de jouer sur les codes, nous tombons rapidement en accord pour dire qu'il ne s'apparente pas au genre fantastique. Nous ne pouvons donc lui remettre la palme, malgré l'engouement général qu'il a provoqué chez quasiment tous les membres de notre jury.

Pour finir la soirée et sur demande de l'ensemble du jury moins quelques voix (devinez lesquelles), nous assistons à l'avant-première (in three d) du film « Hansel & Gretel : Witch Hunters » de Tommy Wirkola. La séance en elle-même est rendue assez désagréable par les éructations de joie auditive d'une spectatrice juste derrière nous qui, à chaque passage en relief ou explosion (et il y en a un paquet, croyez-moi) ne peut se retenir de lâcher un « Yeah... » ou un « Wow... ». Ajoutez à cela un film qui me fait hurler au fascisme (le terme est trop fort, disons plutôt « puritanisme extrémiste et patriotique exacerbé ») et vous comprendrez aisément que je me serais passé de cette dernière partie de soirée. Elle aura cependant l'avantage de fournir sujet à de virulents et passionnés débats à la sortie du film, puisque, soutenu par une autre membre du jury jeunes, je m'efforce de faire partager mon analyse du film aux autres, ce qui semble difficile dans la mesure ou la plupart est plus encline à ne voir que la forme lorsque celle-ci n'est plus que débauche d'action et de décolletés chargés (toujours in three d). Cependant cette joute des points de vue n'est là que pour nous rapprocher encore plus, car tout se fait dans le respect de chacun, et si nous sommes plus radicalement opposés sur ce film que sur d'autres, ce type de confrontation est monnaie courante sur la quasi totalité des films que nous voyons, et cela fait partie du dynamisme de ce jury : savoir être ou ne pas être d'accord avec les autres, toujours selon une argumentation personnelle approfondie.

Le lendemain matin, samedi 02 février, c'est le film « Mamá » d'Andrés Muschietti que nous allons voir. Film d'horreur assez classique, il n'en demeure pas moins intéressant, par son esthétique et le jeu de ses acteurs. Nous pressentons assez vite qu'il aura le prix, car bien que nous le soyons à des degrés variés, nous sommes tous conquis par le film. Certains, j'en fait partie, y ont vu un film intéressant mais pas un chef d’œuvre, d'autres sont beaucoup plus enthousiastes, mais dans l'ensemble nous nous accordons tous pour dire que c'est un bon film.

Nous entamons pour certains l'après-midi avec les « Rencontres du Fantastique » au Grand Hôtel, axés sur la question : « La Peur est-elle sexuée ? ». Les discussions durent un peu plus d'une heure, et on y parle beaucoup de la quadrilogie Alien, de femmes phalliques, d'identification, mais aussi de King Kong et, bien sur, du film de la veille « You're Next », dans lequel c'est une femme qui prend les choses en main pour survivre.

Le film en compétition de l'après-midi est « Berberian Sound Studio » de l'anglais Peter Strickland. Si la longueur ressentie du film, qui ne dure en fait qu'une heure et demie environ, due à son rythme et à ses intentions de réalisation, tend à rappeler chez certains celle de « The Crack », nous sommes deux dans le jury jeunes a être totalement conquis par cette mise en abyme du cinéma qui sert de cadre, et non de fin, à la montée sourde de la folie d'un homme enfermé dans son travail, miné par le « professionnalisme » qu'on lui impose et déstabilisé par les films auxquels il participe, en tant qu'ingénieur du son. C'est une sorte d'expérimentation, fondée sur la relation entre le spectateur et le personnage (on retrouve là les réflexions du débat précédent), à la fois hommage au cinéma et film hors-pair à part entière.

Lorsque nous en ressortons, il neige abondement et tandis que certains vont au Grand Hôtel pour une série d'interviews avant d'aller s'habiller pour la soirée des 20 ans, nous sommes deux à jouer les prolongations. Grâce aux talents de chauffeur de Denis, en moins d'une demi-heure nous avons eu le temps d'aller nous changer et de retourner à l'espace lac, où des places nous sont réservés pour l'avant-première de « Cloud Atlas », film de Lana et Andy Wachowski et de Tom Tykwer. Adapté d'un roman dont il copie et étoffe le procédé narratif, le film raconte six histoires situées à des époques différentes mais se faisant écho et s’entre-influençant.

Après presque trois heures de film, nous sortons pour constater qu'il neige toujours aussi abondement, ce qui n'empêche pas Denis de rouler. Il nous emmène donc au Lido pour la soirée des 20 ans, où nous rejoignons le reste du Jury Jeunes. La soirée est tout d'abord l'occasion de se détendre sur les pistes de danse, où l'on est paradoxalement moins à l'étroit que dans le reste de l'établissement, bondé d'invités naviguant au gré des différents buffets, dont les thématiques sont les pays d'origine des films ayant remporté les dernières éditions du festival.

Vient ensuite le discours de Pierre Sachot, président de l'association Fantastic'Arts, et par conséquent principal instigateur de ce festival. Il remercie tous les invités en présence, mais aussi et surtout les bénévoles, sur qui une grande partie de l'organisation repose. Alors que le festival a failli ne pas avoir lieu cette année, faute de moyens, les chiffres montrent que le nombre de festivaliers est en augmentation par rapport à l'année dernière, en dépit du temps pas forcément clément.

Enfin, la soirée est pour nous l'occasion de rencontrer Andrés Muschietti, réalisateur de « Mamá », accompagné de sa sœur, co-scénariste et productrice exécutive de l’œuvre. Ils parlent Anglais, Espagnol et Français, ce qui nous permet de discuter de leur parcours, et un peu du film, toujours dans les limites imposées par notre statut de jury : nous ne pouvons évidement pas entrer trop dans le vif du sujet, afin d'éviter d'être ou bien trop bavards quant à notre opinion ou bien trop influençables dans notre formation de celle-ci.

Dimanche 03 février, nous faisons un peu durer la réunion, car nous sommes tous conscients que c'est la dernière. Un programme très léger en matière de cinéma aujourd'hui, puisque la seule séance du jour est le dernier film en compétition ce matin, en revanche il nous faudra ensuite décider de l'attribution de notre prix, avant de préparer l'intervention de notre présidente lors de la cérémonie de clôture ce soir. Un peu fatigués par la soirée de la veille et en proie au blues du dernier jour, nous profitons autant que possible de cette ultime journée de jury. A la fin de la réunion, deux films semblent se partager le palmarès : « Mamá » et « The Complex », sans oublier qu'il nous en reste un à découvrir.

Nous allons à l'espace lac pour assister à notre dernière projection, puisque nous n'aurons pas l'occasion d'aller voir un film hors-compétition cette après-midi et que nous devrons quitter la cérémonie de clôture sans en voir le film, pour des questions d'horaire. Le générique, le cri, les applaudissements, et puis commence « Fin », film espagnol de Jorge Torregrossa, rebaptisé « The End » en anglais. Titre de circonstance donc pour ce premier long-métrage de l'auteur, dans lequel un groupe d'amis se retrouvant après des années de séparation dans un coin de montagne où ils passaient leurs étés dans leur jeunesse voient soudain le monde s'arrêter. Métaphore de l'existence à travers le voyage qu'ils entreprennent en espérant continuer à vivre tandis qu'ils disparaissent, l'un après l'autre. C'est donc sur un film tout en douceur que nous restons ; nous n'en parlons qu'assez peu et ne le gardons pas en compétition.

Au cours du repas, on se décide assez rapidement pour « Mamá », sans grandes discussions car celles-ci ont déjà été menées les jours précédent et le matin même. Reste à argumenter notre choix dans le cadre du discours du soir, auquel tout le monde participe. Une fois les bases pour le fond posé et les décisions quant à la forme posées, nous nous répartissons les tâches pour écrire le discours. Nous sommes principalement quatre à le rédiger, avant de mettre en commun les différentes parties pour unifier le tout et le remettre à notre présidente. En riant, elle nous qualifie de « nègres » pour son travail d'écriture, puisqu'elle ne touche que très peu au contenu, ce à quoi nous retournons qu'elle sera notre « pantin », puisque nous dirigeons ses paroles.

L'après-midi, nous attendons au Grand Hôtel que la cérémonie approche. Nous croisons rapidement le Jury, avec qui nous partageons notre palmarès, et il s'avère que nous sommes tombés d'accord. Ils redoutaient que nous n'ayons remis la palme à « You're Next », mais il apparaît que notre définition du fantastique croise la leur, et que par conséquent elle n'englobe pas ce film. Certains membres du Jury Jeunes vont faire un billard, et nous sommes quelques uns à rester simplement là, à discuter. Nous sortons du cadre du cinéma, car maintenant que notre palmarès a été rendu (en interne) et le discours écrit, nous avons l'impression que le festival est déjà partiellement achevé. Nous rencontrons quelques réalisateurs qui passent et pratiquons quelques ultimes interviews auprès de journalistes, mais la sensation est différente.

Nous parlons de l'avenir, de nos orientations respectives, de littérature... Comme si le festival s'ancrait déjà dans les souvenirs du passé, inoubliable événement d'une intensité et d'une richesse grandioses, que nous aurions tous voulu prolonger.

Nous arrivons en avance à l'espace lac, dans lequel nous pénétrons pour la dernière fois, afin de prendre une photo de l'ensemble de notre Jury sur la scène. Et puis les invités entrent petit à petit, le Jury se trouve juste derrière nous pour la soirée et nous parlons avec eux, de Cloud Atlas entre autres. La lumière s'éteint, et les prix sont distribués.

Notre présidente monte sur scène pour déclamer notre discours et remettre le notre. Tout passe très vite, nous sommes dans l'euphorie de la cérémonie de clôture, et puis après les nombreux discours, qu'ils soient des organisateurs et responsables ou des présidents des différents Jury, dont un Christophe Lambert très critique quant à la sélection qu'il juge pas assez sélective, nous devons partir. Nous nous quittons sur le parking, répartis en différentes voitures comme à l'aller. La séparation est dure car elle est double : d'une part du festival et de notre rôle de jury, d'autre part des membres de ce jury, car entre nous tous se sont tissés des liens profonds.

Dimanche 3 février, vers 23 heures, une voiture me dépose devant le lycée. Je viens de vivre cinq jours incroyables, entouré de gens formidables, à voir des films très divers et à faire des rencontres parfois inattendues. C'est comme un rêve magnifique dont on s'éveille peu à peu, tout en le conservant, incroyablement proche et précis, dans sa mémoire. Je ne suis plus « Jury Jeune », juste un lycéen lambda qui s'en retourne à son quotidien, mais la passion du cinéma, antérieure au festival mais étayée par celui-ci, demeure, plus vivace que jamais.

Alors que je finis d'écrire ce compte-rendu du festival, avec plus d'un mois de recul, je demeure marqué par cet événement formidable.
Pour cela, je tiens à remercier :
- Jean-Marc André et Vincent Caillavet, professeurs de cinéma de l'option CAV du lycée La Malgrange, pour leur passion et les savoirs qu'ils transmettent à leurs élèves. Sans leur investissement, cette option n'existerait pas, et ni moi ni aucun lycéen de l'établissement n'aurait pu avoir la chance de vivre cette expérience.
- François Hayotte, qui m'a encouragé à tenter l'expérience et avec qui j'ai toujours beaucoup de plaisir à partager une passion commune pour le cinéma, ainsi que Gaspard Poirot, qui m'a beaucoup appris dans la pratique de cet art.
- La Région Lorraine, qui finance en grande partie le festival et est responsable de l'établissement et de la continuité d'un Jury Jeune chaque année.
- Caroline Laurent, Yannick Furgal et Elodie, employés de la Région qui ont fait un travail remarquable pour nous permettre de profiter à 200 % de l'événement.
- L'ensemble des bénévoles du festival, et tout particulièrement nos chauffeurs Pascal et Denis, sans le travail et la sympathie de toutes ces personnes, rien ne se ferait.
- Pierre Sachot, qui se bat chaque année pour que le festival continue à regrouper les cinéphiles amateurs de fantastique, ainsi que tous les responsables du festival.
- Le Jury long-métrages, qui nous a accordé de très agréables moments de discussion et de partage sur le festival et le cinéma en général.
- L'ensemble du Jury Jeune, composé de gens formidables avec qui ce fut un vrai plaisir de débattre et de vivre pendant ce festival.


Le Palmarès 2013 :
→ Grand Prix : Mama, de Andrés Muschietti
→ Prix du Jury ex-æquo : Berberian Sound Studio, de Peter Strickland
Fin, de Jorge Torregrossa
→ Prix du Jury Jeune : Mama, de Andrés Muschietti
→ Prix de la Critique : Berberian Sound Studio, de Peter Strickland
→ Prix du Public : Mama, de Andrés Muschietti
→ Prix du Jury Syfy : You're Next, de Adam Wingard