Critiques de films, Troisième trimestre (année 2012-2013)
Déposez ici, en publiant un commentaire, vos critiques de films. Un film découvert en dvd ou à la télé, ou unfilm dans les salles en ce moment, partagez votre vision du travail du cinéaste.
Avant de commencer je tiens à faire une précision qui me paraît vitale: celui qui prend la plume aujourd'hui pour vous parler du dernier opus d'un réalisateur adulé par tout le monde et dont chaque nouveau film est attendu avec impatience n'avait pas du tout aimé Inglorious Basterds:un monument de Zderie complaisant, outrancier et autocaricatural qui témoignait d'un certain enfermement de Tarantino dans l' autocitation gratuite et vaine. Une grosse déception de la part d'un auteur que j'adore. Pour vous dire, j'attendais Django Unchained avec une double impatience, d'abord parce que c'était son prochain film et que c'était un western! Son genre de prédilection dont il a prouvé son amour total et sa maîtrise avec les deux Kill Bill.
Synopsis: Aux Etats-Unis, deux ans avant le début de la guerre de Secession,un esclave(Jamie Foxx) est libéré par un chasseur de prime allemand(Christoph Walz).Celui-ci le forme et lui propose del'aider à trouver une bande de hors la loi en échange de quoi ils partiront libérer sa femme(Kerry Washington) prisonnière du terrible propriétaire terrien Calvin Candie( Leonardo Dicaprio)
Je ne commenterai pas la polémique autour du film initiée par Spike Lee autour de l'emploi du terme <> employé maintes et maintes fois dans le film et le contexte de l'esclavage servant comme cadre d'un western spaghetti. On connaît bien le bonhomme: amoureux d'images violentes, encyclopédie cinéphillique vivante comme personne d'autre et nourri de cinéma d'exploitation. Car oui, DJANGO UNCHAINED est un pur film d'exploitation dont l'un des thèmes est l'un des plus tabous de l'histoire américaine: l'esclavage.Un argument de ses détracteurs pour justifier leur indignation sur la possibilité de créer un récit ludique sur une période aussi sombre. Oeuvre à plusieurs niveaux de lecture, DJANGO UNCHAINED est l'incarnation du cinéma comme force primitive à la puissance d'évocation et émotionnelle instantanée. Il suffit de regarder la première séquence dont je laisserai le soin à d'autres de reconnaître l'hommage pour s'en rendre compte. Mais ce serait limiter le cinéma de T à un étalage inutile de cinéphilie alors que toute sa base et son intelligence est de la réinscrire dans un contexte codé au service de ses histoires et des ses propos. Il est bluffant de voir l'intelligence et la subtilité avec laquelle est traitée l'esclavage où chaque personnage en porte les marques et les contradictions: du manichéisme le plus affreux à la complexité la plus triste. Doté d'un casting cinq étoiles et d'une mise en scène splendide, DJANGO est provoque l'hilarité et l'effroi,l'empathie et le dégoût ainsi que la croyance dans le pouvoir de la fiction du simplisme à la complexité. En témoignent les personnages magnifiques en particulier celui de Christoph Walz(dans son plus beau rôle?) idéaliste et érudit averti convaincu du pouvoir des mots et des mythes sur le monde mais aussi capable de balancer une balle dans la crâne s'il le faut. Un père pour Django campé avec sobriété par Jamie Foxx qui va redécouvrir en tant que symbole mythique le monde et ses horreurs puis s'y frotter sans hésiter pour retrouver sa belle. C'est aussi ça DJANGO UNCHAINED: le pouvoir des mots évoluant dans un contexte de violence très malsaine. B.O magnifique, fusillade sanglantes où chaque balle tirée provoque un lac de sang ,dialogues truculents et cisaillés, autant dire que les fans ne seront pas déçus par la marque T. vous l'aurez compris, c'est un chef d'oeuvre formidable. Ce n'est pas un film mais une décharge émotionnelle qui se prend en plein coeur.
Avec beaucoup de retard, je vais parler aujourd'hui de "The Master", film de Paul Thomas Anderson sorti début Janvier.
C'est l'histoire de Freddie Quell, ancien marin de guerre Américain qui, au sortir de la seconde guerre mondiale, peine à trouver sa place dans la société. Alcoolique, parfois violent et enclin à la paranoïa et à la peur panique, on le voit dans un premier temps errer dans l'Amérique des années 50 où il ne peut trouver sa place. Et puis un soir, ivre, il s'embarque accidentellement à bord d'un navire de plaisance. Il se réveille alors en pleine mer, et est accueilli par Lancaster Dodd et sa famille. Celui-ci se revendique "romancier, docteur en physique nucléaire et philosophe théoricien", mais est surtout fondateur de la "Cause", groupe spirituel aux tendances sectaires sous couvert de pseudo-psychologie. Il prend alors Freddie sous son aile, l'engageant tout d'abord comme marin avant d'en faire son second. Il tente de le maîtriser en canalisant ses pulsions, s'y rattache comme à un membre de sa famille, et c'est ensemble qu'ils prêchent pour la Cause dans le pays.
Certains verront dans ce film le récit de la naissance de la Scientologie, mais ce serait je pense réducteur. S'il est vrai qu'un parallèle peut être tracé, là n'est pas, à mon sens, la vraie thématique du film. Au-delà des fonctionnements sectaires, il s'agit bien de l'ensemble des rapports duels maître/élève dont le film traite, tant au niveau familial (si Dodd s'impose comme "maître", c'est sa femme qui parfois le mène et le soumet, comme pour l'extraire des croyances qu'il répand et dont il est réellement sujet) que sur le plan de l'amitié. En effet, Freddie n'est pas, pour Dodd, un simple fidèle mais aussi un ami, voire un fils.
La relation entre les deux personnages est extrêmement complexe, chacun tâchant de maîtriser l'autre en restant lui-même, sans pour autant réussir à ne pas être influencé. Ils dépendent l'un de l'autre, mais ne peuvent trouver d'équilibre. Cet affrontement de tempéraments opposés et pourtant complémentaires est magistralement incarné par les acteurs : Philip Seymour Hoffman et Joaqin Phoenix dégagent une tension palpable, sont réellement les personnages, et le lien entre les personnages est intégralement là, transmis au spectateur de manière extrêmement vraie.
Si la première scène, qui expose les passions auxquelles Freddie est sujet (boisson, virilité ne pouvant mener qu'à la violence et très lourde tension sexuelle) est déjà très forte, le moment le plus grave du film reste sans doute la première "séance" que Dodd lui propose. Véritable séquence de dressage, cette reconstitution de pseudo-psychologique est émotionnellement très forte et visuellement aboutie, comme l'est le reste du film.
Certains critiques reprochaient à l'enchaînement des séquences un certain manque de cohérence, je ne l'ai pour ma part nullement ressenti. Il traduit, je pense, l'espèce de délire dans lequel les personnages sont plongés, car de Freddie et de Dodd, aucun n'est réellement en phase avec la réalité. Tous deux aspirent à autre chose, et ne trouvent pas dans la société de quoi les contenter, alors il se rattachent l'un à l'autre et au croyances qu'il développent en tentant de leur donner un peu de consistance afin de pouvoir s'y agripper. De même, les rapports complexes et changeants entre les personnages sont mis en valeur par ces coupes nettes entre les scènes, qui demeurent chacune riche tant visuellement que thématiquement.
S'il n'est pas un chef-d'oeuvre, The Master reste pour moi un très bon film, portant sa thématique d'un bout à l'autre à travers des personnages complexes et incarnés par d'excellents acteurs.
Leur performance et la qualité de leur relation justifie à elle seule d'aller voir le film, qui jouit au-delà de cet aspect de réelles qualités visuelles.
Ce soir, je vais parler de "Camille Redouble", de Noémie Lvovsky, film français sorti en septembre.
Le synopsis est très simple : Camille, bientôt la cinquantaine, est en crise. Elle vient de quitter son compagnon, avec qui la rupture est abrupte mais pas vraiment complète, vivote sans grande conviction, ne communique que partiellement avec sa fille. Et puis, le soir de Nouvel An, après avoir jeté son alliance, elle s'évanouit. Quand elle se réveille, elle a seize ans de nouveau, redécouvre ses parents, ses amies, et son amour pour Eric, qui pour sa part ne fait que la découvrir. Elle le fuit un temps, puis tente de changer les choses. Elle s'accroche à son passé, souhaite retrouver son présent, mais l'anticipe puisqu'il est devenu son futur.
Autant le dire tout de suite : ce n'est pas là qu'est l'originalité du film, qui calque en grande partie sa structure sur "Quartier Lointain", manga de Jirô Taniguchi (dont je n'ai pas vu l'adaptation cinématographique française réalisée il y a deux ans) : retour vers l'adolescence, redécouverte de soi, traumatisme familial (ici, la mort d'une mère, dans le manga, départ d'un père) que l'on souhaite éviter, ou en tout cas comprendre. Et la même influence sur le présent/futur : presque moindre, mais suffisante pour comprendre qu'il en faut peu pour se redécouvrir, et retrouver le souffle de la vie tel qu'on le respire à seize ans.
Cependant la légèreté laisse ici place à l'humour, aux situations archétypales... Et force est de dire que, dans l'ensemble, cela fonctionne. Qu'il s'agisse du professeur de théâtre survolté ou de celui de français, misogyne et coincé, sans oublier la galerie d'adolescents, plus réels mais tout aussi frais, l'ambiance du film est globalement agréable, et la photographie, sans être d'une inventivité incroyable, est agréable, grâce entre autres à son aspect coloré. Mention spéciale au générique, qui est très beau, sorte de déroulé de tous ces objets qui caractérisent un individu et qui, au fil des ans, sont détruits par le temps et remplacés par d'autres.
Alors pourquoi ne suis-je pas totalement enthousiasmé par ce film ? Peut-être parce qu'il ne m'a pas surpris. Peut-être parce que le romantisme, sans être exacerbé à outrance, reste trop prépondérant à mon goût dans le sens où il n'est pas forcément ce qui caractérise le plus l'adolescence. Peut-être parce que j'ai trouvé que le rythme s'épuisait un peu, bien que la conclusion soit belle et efficace.
Cependant, Camille Redouble reste un bon film, et s'il a peut-être souffert de sa mise en parallèle avec "Quartier Lointain", que je lui préfère (lisez-le, il est disponible au CDI du Lycée), ceci reste une affaire de goût personnel, et ne devrais je pense pas dissuader quelqu'un d'aller profiter de cette sympathique comédie (dramatique ?) française, qui contrairement à beaucoup de films de ce genre ne tombe (merci bien) pas dans un pathos facile et lourd.
Sorti fin Janvier, Blancanieves, de Pablo Berger, est pour moi un véritable coup de coeur. Afin de bien expliquer pourquoi j'ai enregistré ma critique, que vous pouvez retrouver à l'adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=IDMnJXECoa8
Dès son générique, et malgré le côté un peu "cheap" de la police d'écriture calligraphiée de celui-ci ainsi que du trombinoscope qu'il propose, le film annonce la thématique qui lui servira de fil conducteur : nous sommes dans un lycée où circulent des élèves, donc un lieu d'enseignement. Mais ces élèves sont tous bien rangés dans les dossiers administratifs, ce qui marque une certaine distance entre les enseignants et les "apprenants". Car c'est par un agglomérat de termes comme celui-là que s'ouvre le film, au gré d'une réunion de début d'année durant laquelle le proviseur étale tout l'apparat des réformes administratives. Au fond de la salle, il y a ce prof de français, désabusé, qui se demande ce qu'il fait là.
Incarné par un Fabrice Luchini fort convaincant car très réel y compris dans certains stéréotypes, c'est cet homme, M.Germain, que l'on suit tout d'abord. Excédé par le piètre niveau de "la pire classe de toute sa carrière", son attention est cependant retenue par la rédaction d'un de ses élèves. Celui-ci, alors que lui est demandé un compte-rendu de son week-end, conte dans un style fort correct sa première entrée dans la maison de son copain Rapha. De cet événement fort simple, il fait un récit empli de la fascination qu'il éprouve pour le lieu, et conclue le tout sur un léger "à suivre". Lui reprochant le ton presque malsain du récit et l'amusement qu'il semble éprouver à l'encontre de Rapha, et tandis qu'il tente de le mettre face aux conséquences possibles d'un tel écrit tombé entre les mains de l’intéressé, Germain se voit rétorquer par Claude, auteur de la copie, que celui-ci n'a pas écrit pour être lu par Rapha ou qui que ce soit, mais par lui. Et il lui remet de suite un second récit, à nouveau "à suivre".
Une relation d'enseignement et de proximité se développe alors entre les deux personnages, Germain tentant d'aider Claude à affiner son style, lui faisant découvrir des auteurs classiques, mais surtout tâchant de déterminer le but de son récit. Car Claude semble modifier ses désirs alors qu'il les retranscrit textuellement, et Germain, tentant toujours de rattacher une copie à une oeuvre ou un auteur ("C'est du ...") se laisse emporter par le jeu, comme inhibé par ce qu'il découvre et cherche à découvrir chez son élève.
Mettant en scène les écrits de ce dernier, le film mêle leur contenu, la réalité dont ils sont imprégnés, mais aussi ce que Claude et Germain y voient et y apportent par leur point de vue. Impossible de discerner la réel de l'autofiction, ni l'imaginaire du désir sublimé. Encouragé par un Germain aveuglé, Claude développe un désir pas toujours empreint de moralité, et Jeanne, femme du professeur, est peut-être la seule à comprendre ce qui est réel dans le portrait d'Esther, mère de Rapha, que dresse Claude.
A travers les écrits de ce dernier, Ozon joue avec le spectateur, de la même façon que Claude joue avec Germain, et chaque fois que l'on croie voir où il va, il change de cap. Critique de la classe moyenne, des réformes de l'enseignement, de l'art contemporain, et des gens en général, le film dresse néanmoins un portrait touchant bien que pas toujours glorifiant de ces derniers.
Le scénario est excellent, porté par des personnages approfondis et très bien incarnés ; seul Claude est parfois artificiel dans son expression, mais reste globalement fort bon. Et la mise en scène efficace et très esthétique, en particulier par le travail sur les lumières, vient sublimer le tout, donnant une teinte très particulière au récit, s'ancrant par celle-ci à la fois dans une réalité proche et dans un aspect artificiel, rappelant qu'il s'agit là de récits enjolivés par l'imagination de l'auteur et du lecteur. A voir absolument.
Retournons quelques instants au Festival de Gérardmer avec Berberian Sound Studio de Peter Strickland, doublement primé et sorti en France il y a quelques semaines.
https://www.youtube.com/watch?v=uYatV_rw0hs
Découvert en avant-première lors de ce festival, Cloud Atlas de Andy et Lana Wachowski et Tom Tykwer est depuis sorti en France et a désormais son lot d'admirateurs et de détracteurs ; voici ma critique du film.
Il s’appelle Franck, il a atteint la cinquantaine, et il est américain. Il souffre de migraines, et il ne supporte pas ses voisins. Séparé de sa femme et de sa fille, atteint de migraines chroniques, il est ce type ordinaire au bout du rouleau qui sait que ce n’est pas normal de vouloir tuer le bébé qui pleurniche de l’autre côté de la maison mitoyenne qu’il habite. Il ne supporte plus l’égocentrisme ordinaire, l’absence de considération de tous pour autrui, les émissions télévisées rivalisant de stupidité et qui seules viennent animer les discussions formatées et prédigérées de ses contemporains. Alors quand il se fait virer après onze ans de service dans sa boîte pour harcèlement parce qu’il a envoyé des fleurs au domicile d’une collègue ; quand son médecin lui annonce qu’il va mourir bientôt d’une tumeur cérébrale ; quand il voit sa fille emportée dans la société de consommation et d’absence de satisfaction, il craque. Et il descend la greluche qui exhibe à la télé les préparatifs de son seizième anniversaire, misérable gourde toujours à pleurnicher parce qu’elle veut une robe plus cher ou que ses parents ne lui ont pas offert le bon modèle de voiture. Au bord du chemin tandis qu’il accomplit cet acte, une jeune fille qui le remarque et admire le geste. Le soir, tandis que Franck s’apprête à mettre fin à ses jours, elle vient le trouver, et c’est ensemble qu’ils vont continuer sur la route. Il est désabusé et ne sait pas vraiment pourquoi il le fait, elle est utopique et croit au bienfondé de ces assassinats qu’ils perpétuent. Ils parlent beaucoup, de l’état de la société, de cette génération du politiquement incorrect devenu la norme, de la palabre provocante qui ne mène nulle part qu’aux apparences glorifiées. Mais aussi des gens qui les insupportent par leurs comportements et, surtout, expressions et messages politiques. Ils combattent ceux qui font peur à leurs compatriotes à travers l’actualité, et ceux qui font des émissions télévisées les « vrais »sujets d’actualité, faisant l’éloge paradoxal des faibles, tournés en dérision et érigés sur un podium de carton aux couleurs criantes. Parfois ils dérivent, et c’est ainsi qu’intervient une digression sur Alice Cooper, dont la musique intervient par trois fois dans le film. Celui-ci est écrit comme une comédie, mais en réalité on y rit jaune, et si tout y est indéniablement fun, ce n’est que pour donner plus d’impact au regard sans pitié qui toise la société américaine, et plus largement occidentale, actuelle. Beaucoup en prennent pour leur grade, d’une part parce qu’ils le méritent, et d’autre part pour dédramatiser les personnages principaux, et offrir une certaine proximité au spectateur, qui se retrouvera d’une façon ou d’une autre dans les références faites. Alternant discours passionnés mais toujours très justes et écrits avec brio et scènes d’action lourdes de sens et filmées de manière remarquable, le film fonctionne très bien et accroche le spectateur en créant un véritable lien empathique avec le duo central. Tout le cynisme du film est reflété dans le titre : « God Bless America ». Réalisé par Bobcat Goldthwait, sortie en salles en Octobre dernier et déjà disponible en dvd, c’est un incontournable absolu, que vous ne soyez plus à convaincre de son bienfondé politique ou qu’au contraire vous fassiez parti de ceux qui en prennent plein la poire dans le film. C’est tellement bien fait que dans les deux cas vous ne pourrez pas résister.
Sorti en salles il y a peu, "Mama" de Andrés Muschietti a fait parler de lui via une campagne promotionnelle marquée ; parmi les arguments (sic) mis en avant dans ce cadre, un triple-prix au festival de Gérardmer cette année. Avec beaucoup de recul, voici ma critique du film : https://www.youtube.com/watch?v=MurcsLk52l8
Une foire dans une petite ville de l’état de New-York. Luke, incarné par un Ryan Gosling placide au corps couvert de tatouages, enfile son blouson de motard, allume une cigarette et sort de sa tente. Il marche et on le suit au gré d’un plan séquence durant lequel il nous fait dos ; il avance par détours, mais c’est d’un pas sur qu’il se dirige vers le lieu de son spectacle. Il enfourche sa moto, et suit deux compagnons dans une boule d’acier où, allégorie de son existence, il tourne en rond. On le retrouve après le show, toujours aussi calme, signant des autographes à des gamins émerveillés jusqu’à ce qu’une ancienne conquête ne vienne le trouver. Elle lui reproche de l’avoir abandonnée, il lui répond qu’elle lui a manqué. Se voulant de retour auprès d’elle, il ira à sa rencontre le lendemain, mais c’est alors pour apprendre qu’elle vit avec un nouveau compagnon, et qu’ils élèvent un fils, qui est le sien. Si Romina peine à le comprendre et l’accepter, elle qui prend Luke pour dénué de sentiments, la vie de se dernier vient de basculer à cette nouvelle. Il aime ce fils dont il a ignoré l’existence pendant un an et qu’il prend dans ses bras avec une douceur incroyable, et souhaiterait être là pour lui, subvenir à ses besoins et lui offrir le soutien paternel dont il n’a lui-même jamais bénéficié. La paternité et la filiation sont au cœur du film, qui joue sur les codes pour brosser un portrait de l’Amérique telle qu’on se l’imagine, avec ses carrefours que Luke parcourt à moto, ses postes de police et les affaires qui s’y trament, ses citoyens qui tous rêvent et pensent pouvoir donner une consistance à leurs espoirs, devenir quelqu’un dans une société qui leur ressemblerait, dont ils partageraient les valeurs et qu’ils lègueraient fièrement à leurs fils. Car c’est par ceux-ci que tout passe, le film s’axant en trois parties, faisant chacune d’un protagoniste son élément central, montrant la progression de l’un suite aux agissements de l’autre. C’est une histoire de valeurs et de principes, de vengeance et d’honneur, de volonté et de réalité. C’est à cette dernière que sont confrontés les personnages, et si le film ne se permet pas de grandes libertés dans sa façon de jouer avec celle-ci et les destins de ceux-là, du moins chacun a droit à son moment d’existence. C’est peut-être cela, le rêve américain : s’accomplir par un geste qui n’est pas une nouvelle naissance, mais la conclusion, la note finale de la formation de l’individu tel qu’il s’était élevé auparavant. Révélateur de ses forces et de ses faiblesses, de ses limites et de des engagements, il est aussi la marque de son originalité, ainsi que du contexte dans lequel il évolue. Cette Amérique mythique n’est peut-être pas celle qui a pu exister, mais dans l’esprit des personnages, elle est bien ainsi, et ils en sont tous les acteurs et le produit. Derek Cianfrance perpétue ici cette culture dans un schéma très classique mais avec lequel il est à l’aise, et si le film ne présente pas de surprise en soi, il demeure suffisamment bien rythmé et surtout très esthétique, ce qui permet de l’apprécier pleinement. Son plus grand défaut relève paradoxalement de sa plus grande qualité : la marque que laisse Ryan Gosling, à la fois comme acteur et comme personnage de motard tout en douceur filmé à fleur de peau, après la première partie dont il est le centre, vient déprécier tout ce que le film offre ensuite, qu’il surpasse de loin, rendant les deux autres parties moins grandioses et moins touchantes, malgré leurs qualités.
Première partie ; elle, Camille Claudel, hante l'asile dans lequel on l'a placé. Au milieu des autres pensionnaires, qu'elle regarde à distance et contemple attristée, elle semble saine d'esprit. Mais elle souffre de paranoïa, connaît des sautes d'humeur et, surtout, n'arrive plus à créer. Elle a les yeux tournés vers la terre, qu'elle prend dans ses mains mais ne parvient pas à modeler. Elle s'isole pour dessiner mais n'aboutit à rien. Lorsque qu'une nonne tente de faire jouer du théâtre aux fous qui l'entourent, Camille rit de les voir si ridicules dans leur jeu, mais finit par pleurer de les voir être plus capables qu'elle de véhiculer l'art. Artiste incomprise et pourtant déjà consommée, n'appartenant plus au monde extérieur et pas à celui dans lequel on l'a relégué, elle attend l'arrivée salvatrice d'un frère qui, elle en est convaincue, la sortira de cet endroit qu'elle ne peut supporter car personne ne l'y écoute ni ne la comprend.
Seconde partie ; lui, Paul Claudel, a les yeux levés vers le ciel. Il récite des psaumes, dialogue avec un prêtre en marchant, lit la lettre de Camille ; mais il ne tire rien de tout cela qu'il ne puisse trouver, en mieux, dans l'inspiration divine à laquelle il s'accroche. Ayant le ciel à fixer, il se suffit à lui-même, et semble en perpétuel décalage avec le monde qui l'entoure, ne lui appartenant plus puisqu'il n'y accorde aucune espèce d'attention.
Dernière partie ; ils sont l'un face à l'autre, mais leurs regards ne se croisent pas. Si Camille regarde son frère comme le dernier espoir que cette terre porte de la faire sortir, celui-ci n'est déjà plus de ce monde. C'est les yeux toujours levés qu'il parle à une sœur assise près du feu, à qui il fait dos, se tenant droit face à la fenêtre. Elle l'implore, comme elle implorait le Christ de le faire venir en baisant le sol. Il l'ignore comme il ignorait le prêtre précédemment, les yeux rivés au ciel, désormais son seul horizon. Il fait appel à la raison de Camille au nom d'arguments infondés, mais ne vit que par sa foi, détaché des considérations matérielles qu'il invoque pourtant comme justification de la situation dans laquelle il va la laisser.
Elle rêve de créer par la terre, il aspire à monter au ciel ; partant chacun dans leur direction, leur conversation est inutile. Elle est cependant la plus belle séquence du film, celle où chacun des personnages à un être d'une comparable puissance face à lui, où leur décalage ressemblerait presque à une phase, en comparaison à celui qui les sépare de leur réalité propre. C'est dans celle-ci qu'on les découvre dans les première parties, partageant leur souffrance et leurs aspirations, constatant du manque d'espace qui leur fait brasser de l'air inutilement pour des hommes qui ne peuvent les comprendre. En définitive, les Claudel se comprennent, mais ne peuvent s'entendre puisqu'ils ne le veulent pas. Le film s'achève, Paul quitte Camille, elle ne le reverra pas.
Django Unchained: Tarantino unchained!
RépondreSupprimerAvant de commencer je tiens à faire une précision qui me paraît vitale: celui qui prend la plume aujourd'hui pour vous parler du dernier opus d'un réalisateur adulé par tout le monde et dont chaque nouveau film est attendu avec impatience n'avait pas du tout aimé Inglorious Basterds:un monument de Zderie complaisant, outrancier et autocaricatural qui témoignait d'un certain enfermement de Tarantino dans l' autocitation gratuite et vaine.
Une grosse déception de la part d'un auteur que j'adore.
Pour vous dire, j'attendais Django Unchained avec une double impatience, d'abord parce que c'était son prochain film et que c'était un western! Son genre de prédilection dont il a prouvé son amour total et sa maîtrise avec les deux Kill Bill.
Synopsis: Aux Etats-Unis, deux ans avant le début de la guerre de Secession,un esclave(Jamie Foxx) est libéré par un chasseur de prime allemand(Christoph Walz).Celui-ci le forme et lui propose del'aider à trouver une bande de hors la loi en échange de quoi ils partiront libérer sa femme(Kerry Washington) prisonnière du terrible propriétaire terrien Calvin Candie( Leonardo Dicaprio)
Je ne commenterai pas la polémique autour du film initiée par Spike Lee autour de l'emploi du terme <> employé maintes et maintes fois dans le film et le contexte de l'esclavage servant comme cadre d'un western spaghetti.
On connaît bien le bonhomme: amoureux d'images violentes, encyclopédie cinéphillique vivante comme personne d'autre et nourri de cinéma d'exploitation.
Car oui, DJANGO UNCHAINED est un pur film d'exploitation dont l'un des thèmes est l'un des plus tabous de l'histoire américaine: l'esclavage.Un argument de ses détracteurs pour justifier leur indignation sur la possibilité de créer un récit ludique sur une période aussi sombre.
Oeuvre à plusieurs niveaux de lecture, DJANGO UNCHAINED est l'incarnation du cinéma comme force primitive à la puissance d'évocation et émotionnelle instantanée. Il suffit de regarder la première séquence dont je laisserai le soin à d'autres de reconnaître l'hommage pour s'en rendre compte.
Mais ce serait limiter le cinéma de T à un étalage inutile de cinéphilie alors que toute sa base et son intelligence est de la réinscrire dans un contexte codé au service de ses histoires et des ses propos.
Il est bluffant de voir l'intelligence et la subtilité avec laquelle est traitée l'esclavage où chaque personnage en porte les marques et les contradictions: du manichéisme le plus affreux à la complexité la plus triste.
Doté d'un casting cinq étoiles et d'une mise en scène splendide, DJANGO est provoque l'hilarité et l'effroi,l'empathie et le dégoût ainsi que la croyance dans le pouvoir de la fiction du simplisme à la complexité.
En témoignent les personnages magnifiques en particulier celui de Christoph Walz(dans son plus beau rôle?) idéaliste et érudit averti convaincu du pouvoir des mots et des mythes sur le monde mais aussi capable de balancer une balle dans la crâne s'il le faut.
Un père pour Django campé avec sobriété par Jamie Foxx qui va redécouvrir en tant que symbole mythique le monde et ses horreurs puis s'y frotter sans hésiter pour retrouver sa belle.
C'est aussi ça DJANGO UNCHAINED: le pouvoir des mots évoluant dans un contexte de violence très malsaine.
B.O magnifique, fusillade sanglantes où chaque balle tirée provoque un lac de sang ,dialogues truculents et cisaillés, autant dire que les fans ne seront pas déçus par la marque T.
vous l'aurez compris, c'est un chef d'oeuvre formidable.
Ce n'est pas un film mais une décharge émotionnelle qui se prend en plein coeur.
François Hayotte.
Avec beaucoup de retard, je vais parler aujourd'hui de "The Master", film de Paul Thomas Anderson sorti début Janvier.
RépondreSupprimerC'est l'histoire de Freddie Quell, ancien marin de guerre Américain qui, au sortir de la seconde guerre mondiale, peine à trouver sa place dans la société. Alcoolique, parfois violent et enclin à la paranoïa et à la peur panique, on le voit dans un premier temps errer dans l'Amérique des années 50 où il ne peut trouver sa place.
Et puis un soir, ivre, il s'embarque accidentellement à bord d'un navire de plaisance. Il se réveille alors en pleine mer, et est accueilli par Lancaster Dodd et sa famille. Celui-ci se revendique "romancier, docteur en physique nucléaire et philosophe théoricien", mais est surtout fondateur de la "Cause", groupe spirituel aux tendances sectaires sous couvert de pseudo-psychologie.
Il prend alors Freddie sous son aile, l'engageant tout d'abord comme marin avant d'en faire son second. Il tente de le maîtriser en canalisant ses pulsions, s'y rattache comme à un membre de sa famille, et c'est ensemble qu'ils prêchent pour la Cause dans le pays.
Certains verront dans ce film le récit de la naissance de la Scientologie, mais ce serait je pense réducteur. S'il est vrai qu'un parallèle peut être tracé, là n'est pas, à mon sens, la vraie thématique du film. Au-delà des fonctionnements sectaires, il s'agit bien de l'ensemble des rapports duels maître/élève dont le film traite, tant au niveau familial (si Dodd s'impose comme "maître", c'est sa femme qui parfois le mène et le soumet, comme pour l'extraire des croyances qu'il répand et dont il est réellement sujet) que sur le plan de l'amitié. En effet, Freddie n'est pas, pour Dodd, un simple fidèle mais aussi un ami, voire un fils.
La relation entre les deux personnages est extrêmement complexe, chacun tâchant de maîtriser l'autre en restant lui-même, sans pour autant réussir à ne pas être influencé. Ils dépendent l'un de l'autre, mais ne peuvent trouver d'équilibre. Cet affrontement de tempéraments opposés et pourtant complémentaires est magistralement incarné par les acteurs : Philip Seymour Hoffman et Joaqin Phoenix dégagent une tension palpable, sont réellement les personnages, et le lien entre les personnages est intégralement là, transmis au spectateur de manière extrêmement vraie.
Si la première scène, qui expose les passions auxquelles Freddie est sujet (boisson, virilité ne pouvant mener qu'à la violence et très lourde tension sexuelle) est déjà très forte, le moment le plus grave du film reste sans doute la première "séance" que Dodd lui propose.
Véritable séquence de dressage, cette reconstitution de pseudo-psychologique est émotionnellement très forte et visuellement aboutie, comme l'est le reste du film.
Certains critiques reprochaient à l'enchaînement des séquences un certain manque de cohérence, je ne l'ai pour ma part nullement ressenti. Il traduit, je pense, l'espèce de délire dans lequel les personnages sont plongés, car de Freddie et de Dodd, aucun n'est réellement en phase avec la réalité. Tous deux aspirent à autre chose, et ne trouvent pas dans la société de quoi les contenter, alors il se rattachent l'un à l'autre et au croyances qu'il développent en tentant de leur donner un peu de consistance afin de pouvoir s'y agripper. De même, les rapports complexes et changeants entre les personnages sont mis en valeur par ces coupes nettes entre les scènes, qui demeurent chacune riche tant visuellement que thématiquement.
S'il n'est pas un chef-d'oeuvre, The Master reste pour moi un très bon film, portant sa thématique d'un bout à l'autre à travers des personnages complexes et incarnés par d'excellents acteurs.
Leur performance et la qualité de leur relation justifie à elle seule d'aller voir le film, qui jouit au-delà de cet aspect de réelles qualités visuelles.
Paul.
Ce soir, je vais parler de "Camille Redouble", de Noémie Lvovsky, film français sorti en septembre.
RépondreSupprimerLe synopsis est très simple : Camille, bientôt la cinquantaine, est en crise. Elle vient de quitter son compagnon, avec qui la rupture est abrupte mais pas vraiment complète, vivote sans grande conviction, ne communique que partiellement avec sa fille. Et puis, le soir de Nouvel An, après avoir jeté son alliance, elle s'évanouit.
Quand elle se réveille, elle a seize ans de nouveau, redécouvre ses parents, ses amies, et son amour pour Eric, qui pour sa part ne fait que la découvrir.
Elle le fuit un temps, puis tente de changer les choses. Elle s'accroche à son passé, souhaite retrouver son présent, mais l'anticipe puisqu'il est devenu son futur.
Autant le dire tout de suite : ce n'est pas là qu'est l'originalité du film, qui calque en grande partie sa structure sur "Quartier Lointain", manga de Jirô Taniguchi (dont je n'ai pas vu l'adaptation cinématographique française réalisée il y a deux ans) : retour vers l'adolescence, redécouverte de soi, traumatisme familial (ici, la mort d'une mère, dans le manga, départ d'un père) que l'on souhaite éviter, ou en tout cas comprendre. Et la même influence sur le présent/futur : presque moindre, mais suffisante pour comprendre qu'il en faut peu pour se redécouvrir, et retrouver le souffle de la vie tel qu'on le respire à seize ans.
Cependant la légèreté laisse ici place à l'humour, aux situations archétypales... Et force est de dire que, dans l'ensemble, cela fonctionne. Qu'il s'agisse du professeur de théâtre survolté ou de celui de français, misogyne et coincé, sans oublier la galerie d'adolescents, plus réels mais tout aussi frais, l'ambiance du film est globalement agréable, et la photographie, sans être d'une inventivité incroyable, est agréable, grâce entre autres à son aspect coloré. Mention spéciale au générique, qui est très beau, sorte de déroulé de tous ces objets qui caractérisent un individu et qui, au fil des ans, sont détruits par le temps et remplacés par d'autres.
Alors pourquoi ne suis-je pas totalement enthousiasmé par ce film ? Peut-être parce qu'il ne m'a pas surpris. Peut-être parce que le romantisme, sans être exacerbé à outrance, reste trop prépondérant à mon goût dans le sens où il n'est pas forcément ce qui caractérise le plus l'adolescence. Peut-être parce que j'ai trouvé que le rythme s'épuisait un peu, bien que la conclusion soit belle et efficace.
Cependant, Camille Redouble reste un bon film, et s'il a peut-être souffert de sa mise en parallèle avec "Quartier Lointain", que je lui préfère (lisez-le, il est disponible au CDI du Lycée), ceci reste une affaire de goût personnel, et ne devrais je pense pas dissuader quelqu'un d'aller profiter de cette sympathique comédie (dramatique ?) française, qui contrairement à beaucoup de films de ce genre ne tombe (merci bien) pas dans un pathos facile et lourd.
Paul.
Sorti fin Janvier, Blancanieves, de Pablo Berger, est pour moi un véritable coup de coeur. Afin de bien expliquer pourquoi j'ai enregistré ma critique, que vous pouvez retrouver à l'adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=IDMnJXECoa8
RépondreSupprimerBon visionnage,
Paul.
"Dans la Maison", de François Ozon.
RépondreSupprimerDès son générique, et malgré le côté un peu "cheap" de la police d'écriture calligraphiée de celui-ci ainsi que du trombinoscope qu'il propose, le film annonce la thématique qui lui servira de fil conducteur : nous sommes dans un lycée où circulent des élèves, donc un lieu d'enseignement. Mais ces élèves sont tous bien rangés dans les dossiers administratifs, ce qui marque une certaine distance entre les enseignants et les "apprenants".
Car c'est par un agglomérat de termes comme celui-là que s'ouvre le film, au gré d'une réunion de début d'année durant laquelle le proviseur étale tout l'apparat des réformes administratives. Au fond de la salle, il y a ce prof de français, désabusé, qui se demande ce qu'il fait là.
Incarné par un Fabrice Luchini fort convaincant car très réel y compris dans certains stéréotypes, c'est cet homme, M.Germain, que l'on suit tout d'abord. Excédé par le piètre niveau de "la pire classe de toute sa carrière", son attention est cependant retenue par la rédaction d'un de ses élèves. Celui-ci, alors que lui est demandé un compte-rendu de son week-end, conte dans un style fort correct sa première entrée dans la maison de son copain Rapha. De cet événement fort simple, il fait un récit empli de la fascination qu'il éprouve pour le lieu, et conclue le tout sur un léger "à suivre".
Lui reprochant le ton presque malsain du récit et l'amusement qu'il semble éprouver à l'encontre de Rapha, et tandis qu'il tente de le mettre face aux conséquences possibles d'un tel écrit tombé entre les mains de l’intéressé, Germain se voit rétorquer par Claude, auteur de la copie, que celui-ci n'a pas écrit pour être lu par Rapha ou qui que ce soit, mais par lui. Et il lui remet de suite un second récit, à nouveau "à suivre".
Une relation d'enseignement et de proximité se développe alors entre les deux personnages, Germain tentant d'aider Claude à affiner son style, lui faisant découvrir des auteurs classiques, mais surtout tâchant de déterminer le but de son récit. Car Claude semble modifier ses désirs alors qu'il les retranscrit textuellement, et Germain, tentant toujours de rattacher une copie à une oeuvre ou un auteur ("C'est du ...") se laisse emporter par le jeu, comme inhibé par ce qu'il découvre et cherche à découvrir chez son élève.
Mettant en scène les écrits de ce dernier, le film mêle leur contenu, la réalité dont ils sont imprégnés, mais aussi ce que Claude et Germain y voient et y apportent par leur point de vue. Impossible de discerner la réel de l'autofiction, ni l'imaginaire du désir sublimé. Encouragé par un Germain aveuglé, Claude développe un désir pas toujours empreint de moralité, et Jeanne, femme du professeur, est peut-être la seule à comprendre ce qui est réel dans le portrait d'Esther, mère de Rapha, que dresse Claude.
A travers les écrits de ce dernier, Ozon joue avec le spectateur, de la même façon que Claude joue avec Germain, et chaque fois que l'on croie voir où il va, il change de cap. Critique de la classe moyenne, des réformes de l'enseignement, de l'art contemporain, et des gens en général, le film dresse néanmoins un portrait touchant bien que pas toujours glorifiant de ces derniers.
Le scénario est excellent, porté par des personnages approfondis et très bien incarnés ; seul Claude est parfois artificiel dans son expression, mais reste globalement fort bon. Et la mise en scène efficace et très esthétique, en particulier par le travail sur les lumières, vient sublimer le tout, donnant une teinte très particulière au récit, s'ancrant par celle-ci à la fois dans une réalité proche et dans un aspect artificiel, rappelant qu'il s'agit là de récits enjolivés par l'imagination de l'auteur et du lecteur.
A voir absolument.
Paul.
Retournons quelques instants au Festival de Gérardmer avec Berberian Sound Studio de Peter Strickland, doublement primé et sorti en France il y a quelques semaines.
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=uYatV_rw0hs
Découvert en avant-première lors de ce festival, Cloud Atlas de Andy et Lana Wachowski et Tom Tykwer est depuis sorti en France et a désormais son lot d'admirateurs et de détracteurs ; voici ma critique du film.
https://www.youtube.com/watch?v=52yg9wWqP7o
Paul.
Il s’appelle Franck, il a atteint la cinquantaine, et il est américain. Il souffre de migraines, et il ne supporte pas ses voisins. Séparé de sa femme et de sa fille, atteint de migraines chroniques, il est ce type ordinaire au bout du rouleau qui sait que ce n’est pas normal de vouloir tuer le bébé qui pleurniche de l’autre côté de la maison mitoyenne qu’il habite.
RépondreSupprimerIl ne supporte plus l’égocentrisme ordinaire, l’absence de considération de tous pour autrui, les émissions télévisées rivalisant de stupidité et qui seules viennent animer les discussions formatées et prédigérées de ses contemporains.
Alors quand il se fait virer après onze ans de service dans sa boîte pour harcèlement parce qu’il a envoyé des fleurs au domicile d’une collègue ; quand son médecin lui annonce qu’il va mourir bientôt d’une tumeur cérébrale ; quand il voit sa fille emportée dans la société de consommation et d’absence de satisfaction, il craque.
Et il descend la greluche qui exhibe à la télé les préparatifs de son seizième anniversaire, misérable gourde toujours à pleurnicher parce qu’elle veut une robe plus cher ou que ses parents ne lui ont pas offert le bon modèle de voiture.
Au bord du chemin tandis qu’il accomplit cet acte, une jeune fille qui le remarque et admire le geste. Le soir, tandis que Franck s’apprête à mettre fin à ses jours, elle vient le trouver, et c’est ensemble qu’ils vont continuer sur la route.
Il est désabusé et ne sait pas vraiment pourquoi il le fait, elle est utopique et croit au bienfondé de ces assassinats qu’ils perpétuent. Ils parlent beaucoup, de l’état de la société, de cette génération du politiquement incorrect devenu la norme, de la palabre provocante qui ne mène nulle part qu’aux apparences glorifiées. Mais aussi des gens qui les insupportent par leurs comportements et, surtout, expressions et messages politiques. Ils combattent ceux qui font peur à leurs compatriotes à travers l’actualité, et ceux qui font des émissions télévisées les « vrais »sujets d’actualité, faisant l’éloge paradoxal des faibles, tournés en dérision et érigés sur un podium de carton aux couleurs criantes.
Parfois ils dérivent, et c’est ainsi qu’intervient une digression sur Alice Cooper, dont la musique intervient par trois fois dans le film. Celui-ci est écrit comme une comédie, mais en réalité on y rit jaune, et si tout y est indéniablement fun, ce n’est que pour donner plus d’impact au regard sans pitié qui toise la société américaine, et plus largement occidentale, actuelle. Beaucoup en prennent pour leur grade, d’une part parce qu’ils le méritent, et d’autre part pour dédramatiser les personnages principaux, et offrir une certaine proximité au spectateur, qui se retrouvera d’une façon ou d’une autre dans les références faites.
Alternant discours passionnés mais toujours très justes et écrits avec brio et scènes d’action lourdes de sens et filmées de manière remarquable, le film fonctionne très bien et accroche le spectateur en créant un véritable lien empathique avec le duo central.
Tout le cynisme du film est reflété dans le titre : « God Bless America ». Réalisé par Bobcat Goldthwait, sortie en salles en Octobre dernier et déjà disponible en dvd, c’est un incontournable absolu, que vous ne soyez plus à convaincre de son bienfondé politique ou qu’au contraire vous fassiez parti de ceux qui en prennent plein la poire dans le film. C’est tellement bien fait que dans les deux cas vous ne pourrez pas résister.
Paul.
Sorti en salles il y a peu, "Mama" de Andrés Muschietti a fait parler de lui via une campagne promotionnelle marquée ; parmi les arguments (sic) mis en avant dans ce cadre, un triple-prix au festival de Gérardmer cette année.
RépondreSupprimerAvec beaucoup de recul, voici ma critique du film : https://www.youtube.com/watch?v=MurcsLk52l8
Bon visionnage,
Paul.
The Place Beyond The Pines, de Derek Cianfrance.
RépondreSupprimerUne foire dans une petite ville de l’état de New-York. Luke, incarné par un Ryan Gosling placide au corps couvert de tatouages, enfile son blouson de motard, allume une cigarette et sort de sa tente. Il marche et on le suit au gré d’un plan séquence durant lequel il nous fait dos ; il avance par détours, mais c’est d’un pas sur qu’il se dirige vers le lieu de son spectacle. Il enfourche sa moto, et suit deux compagnons dans une boule d’acier où, allégorie de son existence, il tourne en rond.
On le retrouve après le show, toujours aussi calme, signant des autographes à des gamins émerveillés jusqu’à ce qu’une ancienne conquête ne vienne le trouver. Elle lui reproche de l’avoir abandonnée, il lui répond qu’elle lui a manqué. Se voulant de retour auprès d’elle, il ira à sa rencontre le lendemain, mais c’est alors pour apprendre qu’elle vit avec un nouveau compagnon, et qu’ils élèvent un fils, qui est le sien.
Si Romina peine à le comprendre et l’accepter, elle qui prend Luke pour dénué de sentiments, la vie de se dernier vient de basculer à cette nouvelle. Il aime ce fils dont il a ignoré l’existence pendant un an et qu’il prend dans ses bras avec une douceur incroyable, et souhaiterait être là pour lui, subvenir à ses besoins et lui offrir le soutien paternel dont il n’a lui-même jamais bénéficié.
La paternité et la filiation sont au cœur du film, qui joue sur les codes pour brosser un portrait de l’Amérique telle qu’on se l’imagine, avec ses carrefours que Luke parcourt à moto, ses postes de police et les affaires qui s’y trament, ses citoyens qui tous rêvent et pensent pouvoir donner une consistance à leurs espoirs, devenir quelqu’un dans une société qui leur ressemblerait, dont ils partageraient les valeurs et qu’ils lègueraient fièrement à leurs fils. Car c’est par ceux-ci que tout passe, le film s’axant en trois parties, faisant chacune d’un protagoniste son élément central, montrant la progression de l’un suite aux agissements de l’autre.
C’est une histoire de valeurs et de principes, de vengeance et d’honneur, de volonté et de réalité. C’est à cette dernière que sont confrontés les personnages, et si le film ne se permet pas de grandes libertés dans sa façon de jouer avec celle-ci et les destins de ceux-là, du moins chacun a droit à son moment d’existence. C’est peut-être cela, le rêve américain : s’accomplir par un geste qui n’est pas une nouvelle naissance, mais la conclusion, la note finale de la formation de l’individu tel qu’il s’était élevé auparavant. Révélateur de ses forces et de ses faiblesses, de ses limites et de des engagements, il est aussi la marque de son originalité, ainsi que du contexte dans lequel il évolue.
Cette Amérique mythique n’est peut-être pas celle qui a pu exister, mais dans l’esprit des personnages, elle est bien ainsi, et ils en sont tous les acteurs et le produit. Derek Cianfrance perpétue ici cette culture dans un schéma très classique mais avec lequel il est à l’aise, et si le film ne présente pas de surprise en soi, il demeure suffisamment bien rythmé et surtout très esthétique, ce qui permet de l’apprécier pleinement. Son plus grand défaut relève paradoxalement de sa plus grande qualité : la marque que laisse Ryan Gosling, à la fois comme acteur et comme personnage de motard tout en douceur filmé à fleur de peau, après la première partie dont il est le centre, vient déprécier tout ce que le film offre ensuite, qu’il surpasse de loin, rendant les deux autres parties moins grandioses et moins touchantes, malgré leurs qualités.
Paul.
Camille Claudel 1915, de Bruno Dumont.
RépondreSupprimerPremière partie ; elle, Camille Claudel, hante l'asile dans lequel on l'a placé. Au milieu des autres pensionnaires, qu'elle regarde à distance et contemple attristée, elle semble saine d'esprit. Mais elle souffre de paranoïa, connaît des sautes d'humeur et, surtout, n'arrive plus à créer. Elle a les yeux tournés vers la terre, qu'elle prend dans ses mains mais ne parvient pas à modeler. Elle s'isole pour dessiner mais n'aboutit à rien. Lorsque qu'une nonne tente de faire jouer du théâtre aux fous qui l'entourent, Camille rit de les voir si ridicules dans leur jeu, mais finit par pleurer de les voir être plus capables qu'elle de véhiculer l'art. Artiste incomprise et pourtant déjà consommée, n'appartenant plus au monde extérieur et pas à celui dans lequel on l'a relégué, elle attend l'arrivée salvatrice d'un frère qui, elle en est convaincue, la sortira de cet endroit qu'elle ne peut supporter car personne ne l'y écoute ni ne la comprend.
Seconde partie ; lui, Paul Claudel, a les yeux levés vers le ciel. Il récite des psaumes, dialogue avec un prêtre en marchant, lit la lettre de Camille ; mais il ne tire rien de tout cela qu'il ne puisse trouver, en mieux, dans l'inspiration divine à laquelle il s'accroche. Ayant le ciel à fixer, il se suffit à lui-même, et semble en perpétuel décalage avec le monde qui l'entoure, ne lui appartenant plus puisqu'il n'y accorde aucune espèce d'attention.
Dernière partie ; ils sont l'un face à l'autre, mais leurs regards ne se croisent pas. Si Camille regarde son frère comme le dernier espoir que cette terre porte de la faire sortir, celui-ci n'est déjà plus de ce monde. C'est les yeux toujours levés qu'il parle à une sœur assise près du feu, à qui il fait dos, se tenant droit face à la fenêtre. Elle l'implore, comme elle implorait le Christ de le faire venir en baisant le sol. Il l'ignore comme il ignorait le prêtre précédemment, les yeux rivés au ciel, désormais son seul horizon. Il fait appel à la raison de Camille au nom d'arguments infondés, mais ne vit que par sa foi, détaché des considérations matérielles qu'il invoque pourtant comme justification de la situation dans laquelle il va la laisser.
Elle rêve de créer par la terre, il aspire à monter au ciel ; partant chacun dans leur direction, leur conversation est inutile. Elle est cependant la plus belle séquence du film, celle où chacun des personnages à un être d'une comparable puissance face à lui, où leur décalage ressemblerait presque à une phase, en comparaison à celui qui les sépare de leur réalité propre. C'est dans celle-ci qu'on les découvre dans les première parties, partageant leur souffrance et leurs aspirations, constatant du manque d'espace qui leur fait brasser de l'air inutilement pour des hommes qui ne peuvent les comprendre. En définitive, les Claudel se comprennent, mais ne peuvent s'entendre puisqu'ils ne le veulent pas. Le film s'achève, Paul quitte Camille, elle ne le reverra pas.
Paul.